Une modification de la législation a récemment permis aux travailleurs à temps plein de passer à un régime de « semaine de quatre jours » ou à la possibilité de travailler à temps plein pendant quatre longues journées. Si un jour de congé supplémentaire a tout pour plaire de prime abord, ce système présente néanmoins des inconvénients, notamment la surcharge physique et mentale. Est-ce vraiment une bonne idée de passer à la semaine de quatre jours ? Le Dr Edelhart Kempeneers, conseiller en prévention et médecin du travail, tire la sonnette d’alarme sur les risques y afférents.   

 

Après des mois de débat, le gouvernement fédéral a adopté l’année dernière le Deal pour l’emploi, un ensemble de mesures visant à faciliter la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale et à augmenter le taux d’emploi. La semaine de travail de quatre jours fait partie de ces mesures. Contrairement aux expériences menées dans d’autres pays, il ne s’agit pas en Belgique d’une réduction du temps de travail, mais d’une réorganisation des heures à prester. Les travailleurs qui optent pour ce régime de travail conserveront donc un emploi à temps plein, mais effectueront des heures de travail sur quatre jours plus longs par semaine au lieu de cinq plus courts. 

 

Plus précisément, une journée de travail de 9,5 heures ? 

Si la durée hebdomadaire effective du travail est égale ou inférieure à 38 heures, la durée journalière du temps de travail maximale peut être portée à 9,5 heures par jour, par le biais d’une modification du règlement de travail. Si la durée hebdomadaire du temps de travail effective est supérieure à 38 heures (avec un maximum de 40 heures), une convention collective de travail doit prévoir que la durée journalière du temps de travail est égale à la durée hebdomadaire du temps de travail divisée par quatre. 

Tout travailleur du secteur privé travaillant actuellement à temps plein peut demander à adhérer au nouveau régime. Les employeurs, quant à eux, ont le droit de refuser des demandes de façon motivée. Lorsque l’employeur accepte la demande d’un travailleur, cette décision est consignée dans une convention écrite et le travailleur concerné peut effectuer l’horaire de travail à temps plein sur quatre jours pendant maximum six mois. Ensuite, cette période peut être encore prolongée moyennant la conclusion d’un nouveau rapport écrit. 

 

Quel est le degré d’enthousiasme pour cette mesure ? 

Une enquête récente menée auprès de 1 340 employeurs indique qu’ils estiment que l’applicabilité de la semaine de quatre jours est faible. Une telle mesure n’est pas si évidente à planifier, car les heures de travail auront lieu en dehors des horaires de travail normaux. En outre, le travailleur ne sera pas disponible pour l’employeur un jour par semaine. Selon un employeur belge sur quatre (25,7 %), la semaine de quatre jours est impossible à généraliser dans leur entreprise ; en Wallonie, ce chiffre s’élève à 30,5 %. Selon près de 80 % des employeurs en Flandre , ce système serait« difficile, voire impossible » à mettre en œuvre. Ce sont principalement les entreprises des secteurs de la fabrication, de l’horeca ou du commerce de détail qui considèrent ce régime de travail comme impossible à appliquer. 

Les employeurs ne s’attendent d’ailleurs pas à crouler sous les demandes. Par exemple, 46,1 % d’entre eux pensent que seul un de leurs collaborateurs sur 10 introduira effectivement une demande. En cela, cependant, ils pourraient se tromper lourdement. D’après l’enquête menée par une université belge auprès de travailleurs flamands, 37 % des travailleurs à temps plein ont déclaré qu’ils se verraient bien travailler selon un régime de semaine de quatre jours. Grâce à ce système, ils espèrent parvenir à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée, à plus de détente et à plus de contacts avec leurs amis et leur famille. 

 

 

Quelles sont les conséquences possibles ? 

Comme le dit le dicton: « Faites attention à ce que vous souhaitez ». Néanmoins, ce n’est pas parce que l’on veut quelque chose que c’est nécessairement toujours ce qu’il y a de mieux pour nous. En effet, de nombreux travailleurs se focalisent sur le jour de congé supplémentaire par semaine, mais oublient qu’en contrepartie, ils devront faire de longues heures supplémentaires quatre jours par semaine. Nous devons également tenir compte des conséquences : 

           

          1. Charge physique 

          En particulier, les travailleurs dont l’emploi est physiquement exigeant, à savoir les collaborateurs d’entrepôts, le personnel infirmier, les agents de nettoyage, les ouvriers du bâtiment, etc. courent le risque d’être surchargés. Actuellement, environ trois travailleurs sur cinq déclarent souffrir de problèmes musculaires, articulaires ou tendineux. Les maux de dos et les douleurs dans les membres supérieurs sont les plus souvent mentionnés. Les troubles musculo-squelettiques liés au travail sont responsables d’une invalidité permanente dans 60 % de tous les cas signalés. Dans le cadre du régime de la semaine de quatre jours, la durée hebdomadaire du temps de travail reste donc la même, mais l’allongement de la durée quotidienne du temps de travail augmente le risque de surcharge. Les collaborateurs plus âgés y sont particulièrement vulnérables. 

           

          1. La charge mentale 

          Pour d’autres emplois, la charge mentale peut s’avérer plus difficile à supporter. En effet, rester concentré au travail pendant 9,5 heures par jour est mentalement très éprouvant. Cette situation peut poser des problèmes, en particulier pour les travailleurs du savoir, qui doivent rester concentrés pendant de longues périodes. Il peut en résulter du stress et du burn out. 

           

          1. Augmentation du risque d’accidents du travail 

          L’augmentation du nombre d’heures de travail quotidien peut entraîner une certaine fatigue, qui peut à son tour entraîner une diminution de la concentration et du temps de réaction. Le risque d’accident se trouve dès lors accru. Des études sur les accidents du travail graves ont également déjà montré qu’ils se produisent plus souvent à la fin d’un quart de travail. 

           

          1. Perturbation de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée 

          Malgré le jour de congé supplémentaire par semaine, la semaine de quatre jours peut entraîner une baisse de la qualité de vie. Les quatre jours de travail à raison de 9,5 heures par jour laissent moins de temps pour se détendre, faire de l’exercice et voir des amis. Les travailleurs qui ont de jeunes enfants ne pourront plus passer autant de temps avec eux en raison de ce système. Autant d’éléments qui peuvent conduire à plus de stress et à moins d’engagement social. 

           

          1. Impact sur la productivité 

          Si le travailleur individuel y prêtera peut-être moins attention, l’allongement des heures de travail quotidiennes peut également avoir un impact négatif sur la productivité. De nombreuses expériences montrent que la réduction du temps de travail a un effet positif sur la productivité et entraîne une diminution des risques d’erreurs et d’accidents. Ce système va dans la direction diamétralement opposée, avec toutes les conséquences qui s’en suivent. Les gens se fatiguent lorsqu’ils travaillent de longues heures et semblent alors moins motivés pour faire du bon travail.  

           

          1. Impact sur les autres travailleurs 

          Il y a également des conséquences pour les collaborateurs qui n’adhèrent pas à ce régime de travail, parce qu’ils ne le souhaitent pas, parce que cela leur est impossible d’un point de vue opérationnel ou parce qu’ils ne travaillent pas à temps plein. 

          Il peut en découler des problèmes de communication. Les travailleurs qui ne travaillent pas selon le régime de la semaine de quatre jours peuvent recevoir des e-mails et des messages plus tard dans la journée de la part des collaborateurs qui travaillent selon ce régime. Dès lors, ils se sentent obligés d’y répondre en dehors de leurs heures de travail. Il faudra donc conclure de bons accords concernant les attentes à cet égard. 

          En outre, l’absence du « travailleur de quatre jours » le cinquième jour peut avoir une incidence sur la charge de travail des collègues qui sont présents à ce moment-là. En effet, contrairement aux régimes de travail traditionnels où un salarié travaille à 4/5e ou prend un congé parental à temps partiel, ce régime ne libérera pas de budget pour recruter du personnel supplémentaire. 

          Enfin, le système peut également entraîner un mécontentement au sein de l’entreprise, par exemple s’il est autorisé pour certaines fonctions et pas pour d’autres. 

          Conclusion 

          Bien que je trouve les principes théoriques de la « semaine de quatre jours à temps plein » intéressants en tant que système qui permet d’avoir plus de temps libre, dans la pratique, je pense que ce régime de travail est davantage susceptible d’entraîner plus de stress et plus d’inactivité physique ou de surcharge physique. C’est pourquoi je ne suis pas favorable à l’interprétation « belge ». Les employeurs qui envisagent aujourd’hui une mise en œuvre du régime de travail dans leur propre entreprise doivent prendre dûment en considération son impact potentiel sur la santé physique et mentale des collaborateurs afin d’en éviter les effets négatifs. Ou comme le dit le vieux proverbe flamand ‘Bezint eer ge begint’, autrement dit « Il faut réfléchir avant d’agir ». 

           

           

          À propos de l’auteur

          Le Dr Edelhart Kempeneers est conseiller en prévention et médecin du travail. Il est directeur médical du service de prévention externe Attentia. Le Dr Edelhart s’engage à développer de nouvelles méthodes pour améliorer le bien-être des travailleurs. 

           

          L’introduction de la semaine de quatre jours au sein de votre organisation vous intéresse ? Nos conseillers légaux se tiennent prêts à vous aider.